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Il a été vu précédemment qu’une résistance s’opérait dans un milieu afin d’échapper à un processus d’individuation, et ce malgré la possibilité de se différencier : comment ce mouvement inverse nous donne-t-il l’impression d’être dans une supposée expérience de la bifurcation, de quelle manière peut-on échapper à cette attraction ?

Un complexe peut se définir comme un ensemble d’éléments composés entretenant des rapports nombreux d’aspects différents dont le sens est à première vue difficile à saisir par l’esprit :

« Il convient d’attacher au mot complexe un sens d’hétérogénéité qualitative, se superposant à la multiplicité quantitative. Celle-ci intervient seule au contraire dans la signification du mot composé. Pour rentrer dans le vocabulaire philosophique courant, on peut dire que le complexe est de l’ordre de la compréhension, le composé de l’ordre de l’extension – André Lamouche, Le Principe de Simplicité (Gauthier-Villars, 1955). »

L’expérience utilisateur ou UX conçoit les formes d’une exploration où le spectateur est confronté à des choix simples qui l’amènent à suivre un circuit de plus en plus familier, dont la complexitée des relations lui est cachée, tout en lui donnant l’impression de bifurquer par l’exploration.

Au travers du complexe se dessine une carte des manifestations du pouvoir proposant une multiplicité de chemins tout en fermant d’éventuelles sorties. Le paradoxe des réseaux globalisés est de fournir une multitude d’embranchements tout en balisant ces choix par de multiples intermédiaires.

L’interface utilisateur est le dispositif de communication entre l’utilisateur et ce complexe. Celui-ci conçoit les champs des modalités des interactions possibles : un profil d’utilisateur n’est que l’abstraction d’un tableau contenu dans une base de données et ne dit rien de la manière dont la data en elle-même est traitée.

Les dispositifs de capture et de sollicitation de l’attention se retrouvent entre autres dans les champs du marketing et de la surveillance. Ceux-ci sont amenés à opérer de deux manières : par la normalisation et par la synchronisation.

Normaliser, revient à imposer un ordre associé à une logique disciplinaire sous la forme d’un contrôle et à mettre en place des formes de répressions en cas de dispersion. Et ce, tout en veillant à permettre une souplesse suffisante en son sein, nécessaire à sa conservation : elle ne cherche pas à empêcher la bifurcation, mais à en restreindre le mouvement.

C’est ce qui est décrit dans l’ouvrage de Michel Foucault, Surveiller et punir: naissance de la prison, Collection TEL (Gallimard, 1975). – dans lequel le régime d’une normalisation prendrait la forme d’une autorégulation qui viendrait conserver l’homéostasie du système mis en place, et ce au travers du panoptique.

Mais dès lors qu’un système décentralisé, composé d’un maillage souple et partant de la périphérie, remplace un pouvoir centralisé, s’opère également une externalisation du régime de contrôle. Cette transformation est notamment décrite dans l’essai de Paul Virilio, Vitesse et politique: essai de dromologie, Collection l’Espace critique (Galilée, 1977).

Synchroniser, c’est encourager la dispersion en favorisant des occurrences de plus en plus similaires afin de les amener finalement à pointer dans la même direction : le mouvement de la bifurcation devient lui-même un outil de contrôle.

La crise sanitaire pourrait imposer aux sociétés que les citoyens fournissent leurs données personnelles. L’exemple de la Chine, qui gère les citoyens comme des unités productives, montre bien que la question du contrôle des corps et des esprits par des moyens étatiques, voir cognitifs, est au cœur de l’ordre disciplinaire.

En effet, si l’esprit intime pouvait auparavant servir de bulle de confinement, les espaces mentaux sont désormais considérés comme des territoires pouvant être envahis par des systèmes de capture de l’attention, qui par le biais d’agents numériques – smartphones, objets connectés… – introduisent des nouvelles formes de certification et de promotion.

Les intelligences artificielles sont amenées à comprendre ces éléments de rites et de synchronisation en flux continu afin de tracer et d’anticiper nos déplacements et nos comportements. Le dispositif de contrôle cherche à fusionner avec le premier régulateur humain qui est celui du regard social.

Il s’agit pour ce régime de contrôle de dissuader toute sortie du groupe, et également de se substituer à des marqueurs sociaux précédemment établis – bien que cette sortie du groupe puisse t-être considérée comme un rite d’initiation dans certaines sociétés – : de nouvelles formes de mise au ban sont définies pour conserver l’homéostasie de ce nouveau système, excluant toute possibilité de s’en émanciper, puisque cela équivaudrait à la mort ou au blâme.

Le travail collaboratif distribué implique, quant à lui, le partage et la synchronisation des données ou chacun serait son propre émetteur et diffuseur, sans niveau de hiérarchisation : Cette idée est défendue par Don Foresta au travers de sa recherche sur le multi casting afin de permettre d’échapper au problème de l’œil unique.