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Pour creuser en profondeur la logique et la sémantique qui découlent de la bifurcation, nous allons voir en quoi l’approche analytique de la cybernétique de – Norbert Wiener, Cybernétique et société: l’usage humain des êtres humains, 1952. – et à laquelle se rattachent les théories de l’information de – Claude E. Shannon et Warren Weaver, The mathematical theory of communication (University of Illinois Press, 1975). – ainsi que celles issues des recherches en science sociale de l’Université de Palo Alto dans les années 1960, permet de penser les relations et interactions au sein d’un système.

Norbert Wiener était un spécialiste de l’énergie ayant travaillé sur la notion de cybernétique ; celle-ci part du constat que la machine permet aux humains de sortir de leurs limites physiques – un camion équivalant à 10 000 jambes – mais que les sociétés, en créant ces machines, dévorent de l’énergie de manière exponentielle parallèlement à leurs complexifications.

Ce paradoxe selon lequel la plus grande dépense énergétique du monde contemporain proviendrait de la conception et de l’entretien des machines et systèmes complexes destinés à simplifier le travail et faciliter les échanges motive Bernard Stiegler à ce que l’on relise d’un œil neuf les théories de Wiener pour penser une nouvelle dialectique, celle de l’entropie et de la néguentropie.

Toute forme de propension au chaos et à la dispersion dans un milieu peut trouver, dans une force inverse, un mouvement catalisé dans une direction au sein d’un espace ou d’un flux.

C’est notamment pour répondre à cette problématique que la théorie cybernétique propose un modèle qui prend pour cadre la question des interactions, la nature de son réseau ainsi que ses modes de diffusions en son sein : qu’est-ce qui entre et ce qui en sort, y a t-il réciprocité dans les échanges et quelles transformations produisent-elles ?

En étudiant ainsi les interactions de manière logique et en définissant l’ensemble d’un système donné par ses connecteurs, balises, fonctions, objets et classes, il est possible de décrire un langage en son sein et la sémantique qui lui est associée.

Dans une carte, la représentation, la localisation et le code visuel utilisé sont liés. Les signes graphiques sont des objets intégrés dans des classes qui interagissent entre elles : on considère par exemple que la représentation géographique des fréquences de précipitations au sein d’une zone donnée fluctue en fonction de la représentation du relief montagneux.

Les pages du web sémantique qui indexent les données sous forme de table dans des base de données sont des formats de représentation destinés à être lus par des machines ayant pour tâche de les indexer, de les référencer et de les actualiser.

En présentant des ontologies, le lexique, en définissant un ensemble d’éléments par une série de représentations, permet de s’accorder sur un sens dont l’unanimité devient la condition de cette transmission du savoir.

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Robert Morris, « Card File, 1962 » (Tiroir de fichier métallique monté sur planche de bois fixée au mur et contenant 48 fiches cartonnées et indexées, Métal, bois, papier, 68,5 x 27 × 4 cm, Centre Pompidou, Paris, 1992).

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Richard Serra, « Verblist, 1967-1968 » (crayon sur deux feuilles de papier, 25,4 x 21,6 cm, MoMA New York, 2016).

La base de données de Robert Morris et les listes de Richard Serra proposent des pièces dont la finalité se trouve dans la description et la classification de leurs procédés. En procédant à une mise à plat des concepts, les artistes conceptuels ont cherché à établir une grille de lecture pour poser la condition d’une œuvre non plus en tant qu’objet en soi mais comme le résultat de décisions, opérant une mise à plat de leurs pratiques et de leurs définitions afin de les reconfigurer.

Le signifiant, le signifié et le signe permettent de définir dans le champs linguistique une perception analogique du monde.

Les langages et les signes peuvent être séquencés et analysés par des balises sémantiques, devenant une information au sein d’une base de données structurelle où chaque data extraite devient autant de port I/O vers d’autres bases de données, générant à leur tour de nouvelles interactions.

L’état actuel de la recherche de l’apprentissage profond – voir Ian J. Goodfellow et al., « Generative Adversarial Networks », arXiv:1406.2661 [cs, stat], 10 juin 2014. – montre que la question du séquençage par la machine ne fait que s’accélérer, celle-ci devenant capable de développer des patterns pour extraire et trier ainsi que de proposer une infinité de modes de représentations.

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Jean Christophe Bury, qui développe un algorithme qui extrait des signes liés au monde de la bande dessinée et des arts visuels, montre cependant la difficulté du deep learning à soumettre des modèles dans des domaines spécifiques sans en comprendre la logique.

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softwarestudies.com, Time-covers-all_montage-hor, All covers of Time magazine (1923-2008) organized by publication date (left to right) - horizontal format (nor rotated), 23 Octobre 2009

Lev Manovich, qui a écrit « Le langage des nouveaux médias », travaille également sur des systèmes d’analyse d’images pour en extraire le maximum d’informations afin de penser à des modalités d’interactions au sein de ses propres bases de données. La recherche des singularités plutôt que des correspondances devient la condition de la mise en forme de données ayant désormais une valeur plastique.

Une information devient état lorsque celle-ci est associée à une valeur qui change au cours d’un processus. La transmission de ses caractères permet de lutter contre une entropie jusqu’à une certaine limite structurelle, telle que les lois de la thermodynamique dans un système énergétique.

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Si la crise du capitalisme actuel est directement corrélée à la question de l’urgence climatique, c’est qu’il s’agit d’une part de l’incapacité de résoudre les contradictions entre entre les désirs infinis de l’humanité et les limites physiques du terrestre et d’autre part dans la résurgence du pathogène comme un risque pour l’homéostasie d’un corps donné, justifiant des dérives sécuritaires et liberticides.

La pensée eugéniste – qui découle de l’application des méthodes d’organisation sociales dérivées des travaux de Thomas Robert Malthus, Essai sur le principe de population. 01. 01. (Flammarion, 1826). – est une impasse puisque la sélection et la transmission de caractéristiques d’un système n’est pas une fin en soi : elle ne doit pas prétendre à l’ordre ni à l’efficacité.

Pour – Ivan Illich, La convivialité (Édition Points, 1971). – plus un système va chercher à s’ordonner, plus il créera du désordre, autrement dit à une force concentrique va s’opposer une force de dispersion qui réduira son mouvement : c’est ce qu’il théorise sous le nom de mnémozyne, en référence à la divinité grecque du chaos.

Et c’est dans l’ouvrage de_Bernard Stiegler, Qu’appelle-t-on panser? 1: L’immense régression (Éditions Les liens qui libèrent, 2018)., que celui-ci invite, en récupérant un verbe du vocabulaire de Jacques Derrida, panser, à prendre en compte, au sein de ces relations qui existent entre les systèmes et leurs structures, ces tensions afin de préserver notre capacité de création et de changement.

Mais si on a pu constater qu’observer les systèmes, comprendre leurs relations afin de proposer des manières de dépasser les tensions inhérentes à ces structures permettait de proposer des formes de bifurcation, il sera fait état de la difficulté de souligner la singularité d’une proposition de ce type.