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En étudiant la carte dans sa dimension heuristique, on va supposer que l’approche visuelle en constitue la première base d’appréciation : quelles formes ? Quelles figures de représentation sont mises en œuvre pour introduire le regard dans le dispositif de la carte ?

« Ce livre est l’histoire d’un voyage et d’un regard qui prend la carte géographique du monde comme motif et comme modèle artistique d’une esthétique ouverte sur l’infini. Ainsi en parcourt-il les différentes figures pour dessiner de nouvelles formes de vision. L’outil cartographique de l’art, œil-monde, puise sa naissance au XVIeme siècle de Léonard de Vinci et de Brueggel jusqu’à sa traversée plus contemporaine de Duchamp à Jasper Johns ou Robert Smithson. Tour à tour descriptif, allégorique, entropique, ce regard icarien et terrestre nourrit toute les histoires du trajet, déplacement des dérives en art à travers l’hétérogénéité de ses procédures et de ses médias. La reconstitution de l’oeil cartographique ouvre sur un autre monde, celui du virtuel : redéfinir l’esthétique de l’immanence dans un monde habité de toutes les violences, tel pourrait être les enjeux de l’œil éphémère propre à notre présent – Christine Buci-Glucksmann, L’œil cartographique de l’art, Collection Débats (Galilée, 1996). »

On peut également envisager cette dimension heuristique au travers d’une dialectique : celle du regard global, étendu à l’extrême et qui procède d’une mise à plat de l’environnement, et celle du regard local, lorsque l’on chemine sans connaître notre environnement dans sa totalité. C’est cette dernière qui procède de la représentation d’un réel en acte.

La chute d’Icare, en souhaitant s’échapper de l’influence de son Père Dédale, le créateur du Labyrinthe, peut être interprétée comme une tentative de sortir du chemin, bien que cette tentative de s’élever pour mieux surplomber le monde lui sera fatale, à tel point qu’il finira par se brûler les ailes avant de sombrer dans la Mer Égée.

Toute tentative de circonvenir le monde dans son intégralité est vouée à l’échec, le regard global nous rend aveugle en cherchant à ne pas nous faire égarer.

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« Labyrinthe de la Cathédrale de Chartres » (12,88 m de diamètre, Chartres, 1200).

En revanche, les récits d’apprentissage et de formations spirituelles partent d’une fuite, et cette distinction avec la fugue est essentielle puisqu’au lieu de chercher à échapper au monde, il s’agit de se perdre pour mieux retrouver les chemins afin de revenir vers une expérience consentie du réel.

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Robert Smithson, « Spiral Jetty » (457 m de long et 4,5 m de large, Salt Lake Utah, 1970).

On va considérer l’outil comme une extension des capacités humaines – Gilbert Simondon et Nathalie Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Nouvelle édition revue et corrigée, Philosophie (Aubier, 1958). – c’est à dire l’ensemble des moyens techniques manipulables pour penser, communiquer ou agir sur son environnement et ses pairs ainsi que les types de rapports entretenus avec ces dispositifs dans cette relation au monde.

La notation est un outil en ce sens qu’elle permet d’inscrire un signe sur un support et par extension de transformer ce signe en objet physique, celui-ci devenant un symbole pouvant se transmettre, se dupliquer, mais surtout communiquer un sens entre deux récepteurs, bien qu’il ne s’agisse pas de procéder dans cet exemple à une étude de la communication.

La bifurcation au sein de la digression ou l’inverse ? Les figures de la bifurcation rentrent dans les domaines de l’interactivité. L’œuvre processuelle entretient la question du chemin comme fin en soi et fait écho à la poétique de l’œuvre ouverte d’Umberto Eco, ou l’activité du spectateur est la condition de l’entrée dans celle-ci.

Si, pour – Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Collection « Critique » (Éditions de minuit, Paris, 1980). – le télos détermine un cap comme finalité, le rhizome, quant à lui, trouve sa fin dans les relations qu’il tisse entre les choses.

Les processus de transformation qu’il opère et le devenir de ces choses créent du sens à la bifurcation en introduisant la délinéarisation au sein des perspectives multiples.

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Chez – Jean-Louis Boissier et Jean-Noël Lafargue, La relation comme forme: l’interactivité en art, 2008. – la carte interactive dessine un chemin que l’on peut marquer et annoter, notamment au travers de ses Perspecteurs qui sont des outils de création liés aux systèmes de représentation de la perspective.

Les papyrus comportent des signes qui relèvent de leur apparence mais qui renvoient plus fondamentalement à leur architecture, à leur croissance, à leurs comportements, à leurs échanges. Ces signes d’articulation relationnelle sont perçus spécifiquement par le cerveau où ils instaurent des systèmes d’intellection distincts des langues, tout en contribuant à leurs écritures.

Le spectateur partage la possibilité de bifurquer et de choisir ou non le chemin. Celui-ci se construit et se reconstruit au travers de boucles en fonction des interactions.

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André Boucourechliev (1925-1997): Archipel I, per 2 pianoforti e 2 percussionisti (1966/1967)

Cette possibilité se retrouve également dans les partitions de Boucourechliev où sont définis un ensemble d’éléments musicaux pouvant être interprétés dans n’importe quel ordre.

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Cornelius Cardew: Treatise. Page 183, 1963-1967

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Iannis Xenakis, La Légende d’Éer et Jonchaie, 1986

Cette digression peut aussi se révéler au travers d’un dispositif permettant de traduire une manifestation du temps :

Un triangle, solide absolu, n’a pas de manifestation du temps et la forme est entière en soi ; en revanche, le nautile ou le fossile est la manifestation des couches successives qui composent la forme totale et qui ne cesse d’émerger en tant que présence sans cesse réactualisée

Le geste de dessiner devient un moyen de rendre compte de ce présent sans cesse réactualisé, faire trace c’est inscrire du temps.

L’échantillonnage est caractéristique de toute forme de perception et d’interprétation du monde – le domaine visible, la fréquence visuelle, … – et si l’intelligence humaine ne permet que d’en saisir un aspect, c’est sa capacité à construire une réalité à partir de données parcellaires qui va jouer sur son expérience : la sensibilité transcende la pensée analytique dans son incomplétude même.

La théorie de l’énaction, conceptualisée par Fransisco Varela, Gregory Bateson – Paul Watzlawick, Janet Beavin Bavelas, et Don D. Jackson, Pragmatics of human communication: a study of interactional patterns, pathologies, and paradoxes (Norton, 1967). – à l’Université de Palo Alto, parle de l’expérience sous l’angle de l’interaction d’un individu avec son milieu. En considérant le dispositif artistique comme une carte, on peut dès lors parler de cette expérience du point de vue du spectateur : comment le solliciter et comment celui-ci peut échapper à ce qui lui est proposé ?

Platon racontait que Socrate critiquait le dispositif de l’écriture qui ne répondait pas, selon lui, à la question de la perte de l’expérience pure : seul l’apprentissage oral par cœur permettrait la condition de la stricte conservation du savoir car c’est au travers d’un canal de communication intermédiaire que s’opérerait une perte d’information.

C’est en questionnant le dispositif que Socrate pose le problème du langage et de ses manifestations, ce que Marshall McLuhan résumera au travers d’une phrase ayant dépassée la notoriété de son auteur-même :

The medium is the message