Menu

Pour interroger au sein de la bifurcation la question du paradigme de la singularité, il convient de se demander s’il existe une manière de faire et de penser les choses qui puisse permettre de se singulariser. Quel est le marqueur le plus approprié qui permettrait de souligner la bifurcation ?

Le paradigme est un terme d’épistémologie qui définit des modèles de représentation du monde décrit par – Thomas Samuel Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, 1962. – Dans cet ouvrage, celui-ci est défini comme :

« [ … ]ensemble des croyances et techniques communes à un groupe donnée (…) ensemble de solutions données d’énigmes concrètes qui peuvent remplacer les règles explicites en tant que base de solution [ … ] »

Samuel Kuhn considère l’histoire de la recherche scientifique comme la succession d’un ensemble de modèles réactualisant les éléments des objets d’études et devenant de fait un standard.

La connaissance est un processus dont le dynamisme s’inscrit dans la nature double de l’Homme, à la fois corps social et également capable d’individuation, à la manière de ce que définissaient Gilbert Simondon et Carl Gustav Jung :

« Ce qui différencie l’autre dans la même espèce et le fait exister individuellement. »

Pour développer cette notion d’individuation, un pas de côté sera effectué au cours de ce chapitre pour évoquer le témoignage de mon expérience de la bifurcation ainsi que le retour d’un autre interlocuteur.

Durant le confinement, les rendez-vous pédagogiques entre les étudiants et les enseignants se sont poursuivis à distance, les échanges ont été réalisés grâce à des logiciels et des plateformes de visioconférence.

Et c’est par le dialogue suivant que va se dessiner ici cette bifurcation d’idées qui cherche et qui tente de cerner une forme de singularité :

[ JE ]

La création d’un site web personnel pour compiler mes travaux m’a posé un certain nombre de problème : comment parvenir à lier un ensemble hétérogène et le rendre lisible pour rendre compte d’un parcours chaotique ?

J’ai donc tenté de penser mon travail sous la forme d’un rhizome, dont les branches croiseraient mes travaux passés et en cours avec mes recherches et mes collaborations.

Certaines branches restaient ouvertes et continuaient à se déployer tandis que d’autres étaient des survivances d’états passés à un instant t.

C’est ainsi que j’en suis venu à parler de bifurcation : en digressant continuellement, je n’avais fait que m’éloigner des chemins que j’avais moi-même balisés.

Et il est d’autant plus ennuyeux de constater que la fugue ne constitue en rien une fin en soi, puisqu’en ne se raccrochant qu’à son propre mouvement, elle ne propose pas d’issue en soi : on ne fait que continuer à se perdre…

C’est ce dont Heidegger nous parle en évoquant l’image de ces « chemins qui ne mènent nulle part » : à prendre conscience de la manière dont certains sentiers nous laisseraient entrevoir des sorties qui ne seraient que des impasses ; les poursuivre nous amènerait inéluctablement à rebrousser chemin.

Peut-être que l’erreur 404 pourrait nous emmener vers un raccourci mais elle ne déboucherait finalement que sur un terrier de lapin.

Dès lors, on finit par ne plus bifurquer du tout. Il ne faut cependant pas reconsidérer notre mouvement, mais notre position. Il s’agit de prendre de la hauteur.

Pour revenir sur l’histoire de mon site web, il fallait que je trouve une manière de tracer une carte de l’ensemble de mes activités diverses pour les survoler d’un seul coup d’œil.

Pour en concevoir la topologie, il a également fallu que je définisse les particularités de chaque projet et que je cerne leurs relations proxémiques ; aucuns projets n’étant à la même échelle ni au même niveau de complexité.

Traverser à rebours ce chemin, c’est poser les bases d’une démarche de création et de conception qui m’est propre. Arpenter la chaîne d’un système en suivant son fil rouge permet de se confronter à la contingence.

Selon Jean-Louis Boissier, dans son ouvrage La relation comme forme, l’algorithme pose des conditions dans la manipulation de variables afin d’aboutir à des résultats, probants ou non, attendus ou inattendus. L’ensemble de ces pistes est une forme en soi, celle de la prospection. Mais ce qui est au cœur de la logique algorithmique est avant tout la gestion de l’aléatoire.

Ce qui va le différencier d’un modèle probabiliste, c’est le fait de réduire petit à petit le nombre de possibilités afin d’aboutir à un choix. On pourrait concevoir une infinité de chemins chaotiques que l’on baliserait en restreignant le champ d’action.

Les géants du Web, que l’on regroupe généralement sous l’acronyme de GAFAM ou BATX pour la Chine, ont basé leur modèle d’entreprise sur la maîtrise de l’ensemble de la chaîne d’un système, en l’occurrence les datas.

Cette précision est importante : une donnée n’a de valeur que par les relations qu’elle peut tisser avec son environnement.

La mise en place d’un système expert, en proposant des services et des infrastructures pour des usages aussi divers que la fouille de données ou la visualisation de flux, impose de montrer qu’un complexe existe, dont la nature sera précisée dans le prochain chapitre.

Et c’est justement pour décortiquer ces complexes qu’il me paraîtrait judicieux que des outils critiques en art soient disponibles et accessibles pour casser ces relations en circuit fermé, notamment en détournant et en comprenant ces technologies. Il en est ainsi des stratégies mises en place, que je nommerai ici « patterns », dont l’objectif est de nous faire rester dans un circuit en vase clos.

La rétroaction qui survient répond dès lors d’un processus d’adaptation à un nouvel environnement, ce mécanisme de retour, ou « feedback » selon le vocabulaire de Norbert Wiener, est une des caractéristiques essentielles de la théorie cybernétique que l’on retrouve sous le nom d’IHM ou Interfaces Hommes-Machines.

« [ … ] la société ne peut être comprise que par une étude des messages et des dispositifs de communication qu’elle contient ; et que, dans le développement futur de ces messages et de ces dispositifs, les messages entre l’homme et les machines, entre les machines et l’homme, et entre la machine et la machine sont appelés à jouer un rôle sans cesse croissant – Norbert Wiener, Cybernétique et société: l’usage humain des êtres humains, 1952. »